Afrique et santé mentale : éloquence d’un tabou

Article : Afrique et santé mentale : éloquence d’un tabou
Crédit: MONUSCO Photos via Wikicommons
27/10/2023

Afrique et santé mentale : éloquence d’un tabou

« Soyez gentil avec votre esprit », ruban pour la journée mondiale pour la santé mentale /
MONUSCO Photos via Wikicommons

De par le monde, une personne met fin à ses jours toutes les 40 secondes, ce qui équivaut à environ 800.000 suicides par an. Le 10 octobre consacre la journée mondiale de la santé mentale. Elle est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté. » S’il est plus ou moins normal en tant qu’être humain de ressentir des coups de blues, de déprime, d’angoisse ou de stress, cela devient préoccupant lorsque cet état se prolonge, tout comme il est préoccupant de relever le déni et la méconnaissance des Africains face aux questions des troubles mentaux. L’Afrique n’en est qu’à se familiariser avec le sujet de la santé mentale qui reste tabou alors que son ampleur est sérieuse, comme nous allons le voir.

Quelles explications peut-on trouver à la situation de plus en plus alarmante de la santé mentale et quelles solutions peuvent être suggérées ?

Santé mentale et suicide en Afrique

Corde nouée. Mae MU via Unsplash

L’Afrique subsaharienne détient le taux le plus élevé de suicide au monde avec 11 cas de suicide pour 100.000 habitants. C’est supérieur à la moyenne mondiale de 9 sur 100.000. Des dix pays les plus concernés par le suicide, six sont africains et c’est l’Afrique australe qui est la plus touchée par les questions de suicide.

Le matin du 23 février 2022, l’Afrique du Sud s’éveille pour plonger dans un cauchemar au goût de réalité implacable. L’information qui a d’abord tout l’air d’une rumeur tant elle paraît absurde, est confirmée par des personnalités politiques et du showbiz. La terrible nouvelle se répand comme une traînée de poudre et devient virale sur les réseaux sociaux : le célèbre rappeur Riky Rick s’est suicidé par pendaison à son domicile, à seulement 34 ans et alors qu’il semblait mener une vie comblée. Une vie où il avait coché toutes les cases que la société contemporaine a érigées comme seules conditions au bonheur : beauté, famille, talent, célébrité, aisance financière… Quelques jours plus tôt seulement, il annonçait un accord de partenariat officiel pour la marque African Bank. L’ironie c’est que le spot publicitaire tourné pour ce contrat juteux n’avait même pas fini de faire sensation tant il paraissait prometteur…

De son vivant, Riky avait libéré la parole autour du sujet encore très tabou de la santé mentale. Aux prises avec ses démons, il aura lutté longtemps avant de finir par se donner la mort, comme son père avant lui.

Plus tôt cette même année 2022, de l’autre côté de l’atlantique, c’est presque le même cas de figure : elle s’appelait Cheslie Kryst, amorçait sa trente-unième année, était avocate, reine de beauté (ex-miss USA), présentatrice vedette, amie des stars et elle-même star, ses abonnés sur ses réseaux sociaux se comptaient en centaines de milliers. Et pourtant, elle ressentait un vide tel, qu’elle finit par se jeter du haut d’une terrasse.

Femme triste / Iwaria

Ce ne sont pas les exemples qui manquent pour relater des cas de suicide de par le monde, mais c’est à l’Afrique que nous essayerons de circonscrire notre réflexion pour tenter d’y cerner le concept de santé mentale et ses implications. Les causes de suicide sont diverses mais pour la plupart, elles résultent de stigmatisations, de persécutions, de difficultés à construire et entretenir des relations de qualité avec l’entourage, du désespoir, du deuil, de la précarité financière etc. Le suicide est causé le plus souvent par un mal-être persistant et il constitue une urgence sérieuse de santé publique.

Entre tabou et minimisation

Signe de silence / Image par Mohamed Hassan de Pixabay

Le concept de santé mentale est un concept relativement ancien même si pour la plupart, nous n’en avons entendu parler que récemment. En Afrique, il y a une mobilisation inefficace des ressources autour de ce sujet car, seulement moins de 1% de ressources budgétaires seraient mobilisées sur cette question. En effet, des maladies infectieuses comme le VIH accaparent la plus grande part des ressources mobilisées en matière de santé et on compte approximativement un psychiatre pour 500 000 habitants. Ces défaillances se retrouvent aussi bien au niveau des ressources humaines (spécialistes qualifiés) qu’au niveau des infrastructures (structures d’accueil spécialisées).

Bien que les questions de santé mentale soient de plus en plus admises et évoquées en Afrique, la chose n’est toujours pas mesurée à sa réelle ampleur. Sans vouloir jouer les mauvais messagers, la tendance mondiale de mal-être va en s’accentuant et l’Afrique la subit de plein fouet. On parle de 10% de sa population affectée par un trouble mental (la dépression, l’anxiété, l’état de stress post-traumatique, les troubles bipolaires ou encore la schizophrénie…), tout en sachant que la moitié des problèmes de santé mentale commence avant l’âge de 14 ans, et que la plupart des cas ne sont ni détectés ni traités. Selon l’OMS, 450 millions de personnes seraient touchées par des questions de santé mentale dans le monde et une personne sur quatre sera concernée au cours de sa vie par un trouble psychologique (75% avant 22 ans).

Médecin et sa patiente / National Cancer Institute via Unsplash

Aussi, il faut relever que le sujet de la santé mentale reste tabou parce qu’il existe une profonde méconnaissance des maladies mentales sur le continent et en conséquence, les données réelles sont biaisées. Une telle sous-estimation des données réelles résulte entre autres de la peur du rejet et de la stigmatisation (dont nous avons le secret particulièrement), pour les personnes ayant de pathologies relevant du domaine de la santé mentale. Toutefois, la prévalence en termes de santé mentale serait plus grande pour les personnes habitant des zones de conflit, zones considérées comme des facteurs aggravants de troubles mentaux. Ce sont aussi dans les grands centres urbains que l’on rencontre le plus de cas de suicides et de mal-être, contrairement aux zones rurales qui sont moins confrontées aux problématiques générées par le capitalisme (cherté du coût de vie, chômage, superficialité des interactions sociales, insécurité, solitude, burn-out, bore out, surconsommation et consumérisme, estime de soi…).

Le capitalisme comme accélérateur du mal-être en Afrique

Centre-ville de Johannesburg / Banc Evan via Wikicommons

Un certain nombre de facteurs sont considérés comme déclencheurs ou aggravants pour les troubles mentaux. Si pour des troubles comme la schizophrénie ou la bipolarité, on peut rechercher les causes dans les abus de substances addictives et nocives (toxicomanie, alcools), les maltraitances durant l’enfance ou encore un développement fœtal anormal, pour les cas de déprime, d’angoisse ou de dépression, il faut donc tenir compte de la conjoncture économique qui participe à la désagrégation du tissu social et à la perte de repères.

Les sociétés basées sur le modèle capitaliste (donc la plupart) se font une définition biaisée du bonheur et de l’accomplissement, basés sur les possessions. Nous entretenons la culture qu’il faut avoir avant d’être, qu’il faut avoir plus qu’il ne faut être. Au fond, on ne peut sensément blâmer les personnes habitant les milieux capitalistes de fonctionner sur ce paradigme quand on sait que sans sources de revenus, on ne peut satisfaire à ne serait-ce qu’aux besoins élémentaires.

Le revers des réseaux sociaux sur la santé mentale

Icônes d’applications de réseaux sociaux. L’équipe Hallam via Wikicommons

Par ailleurs, les réseaux sociaux ont décuplé une culture du paraître qui fait plus de mal que de bien sur le long terme. Les réseaux sociaux, conçus à l’origine pour créer et faciliter des rencontres et l’épanouissement social ont, au contraire, plus que jamais, accentué le sentiment de solitude et sont devenus un terrain d’exhibition indécente et compulsive des apparences clinquantes. Les pressions narcissiques diverses sont exacerbées à outrance avec le matraquage permanent d’une vie parfaite en apparence. Cela donne l’impression que presque tout le monde est heureux autour de nous, alors que nous-mêmes ne le sommes pas, or l’herbe n’est jamais plus verte ailleurs… Les réseaux sociaux ont décuplé le sentiment de vivre dans un monde d’insécurité multiforme (émotionnelle, sociale, économique, financière, politique…), où tout le monde, sans exception, se retrouve aux prises avec ses propres insuffisances.

Pour les personnes qui auraient plus de mal à faire face, les choses peuvent être plus dramatiques et les conduire à d’abord envisager le suicide, puis carrément à passer à l’action à cause de la dépression, une maladie particulièrement vicieuse parce que la personne qui en est atteinte semble heureuse en apparence mais souffre profondément de l’intérieur (cas de Riky et Cheslie). Dans ce cas, le suicide devient une délivrance, car la personne ne veut pas mettre fin à ses jours. Elle veut mettre fin à une souffrance ininterrompue.

Le patriarcat comme gardien du tabou

Jeune homme. Julian Myles via Unsplash

De récents sondages révèlent un fait très intéressant : en Afrique, les hommes se suicident plus que les femmes. Au Cameroun par exemple, les cas de suicide sont en constante augmentation. Ils ont triplé en quatre ans (4,9% en 2012, 12,2% en 2016).

Comment expliquer cette tendance masculine plus grande au suicide ? Entre autres contraintes, en Afrique, l’homme a le sacro-saint devoir d’être le principal, sinon le seul pourvoyeur de la famille, avec l’obligation à une résilience malsaine et à toute épreuve. Dans nos sociétés où l’homme est érigé en modèle de force, de virilité, où pleurer, sinon seulement montrer sa sensibilité c’est « un truc de filles », pourquoi s’étonner que ceux-ci mettent fin à leurs jours à cause de la pression trop grande de ne pas être (paraître) raté ?


Cette conception de l’homme stoïque qui découle de l’idéologie patriarcale fait de l’homme lui-même, l’autre victime du patriarcat, comme la femme. Au final, aucun des deux genres n’est épargné et chacun traîne son lot de fêlures psychologiques, qui peuvent à terme se transformer en troubles mentaux.

Santé mentale : conséquences et solutions

Flèches pointant vers le bas. Image par David Zydd de Pixabay

Les troubles mentaux en Afrique ont d’importantes conséquences. En plus d’affecter l’individu lui-même et son entourage, sur le plan socio-économique les effets ressentis sont importants (suicide et baisse de productivité). Le sujet de la santé mentale n’est ni une question farfelue, ni « un délire de Blancs ».

Spécifiquement, devant l’urgence de santé publique qu’est le suicide comme résultante d’un mal-être profond, quelles solutions peuvent être apportées pour répondre efficacement à la question de la santé mentale en Afrique ? Une réponse appropriée implique une volonté des pouvoirs publics de mobiliser davantage de ressources pour l’élaboration d’une vraie politique de santé publique (allocations budgétaires conséquentes et coordination entre secteurs sanitaires).
Les entrepreneurs sociaux doivent eux aussi jouer un rôle plus actif de sensibilisation par la mise en place des réseaux de prévention contre le suicide, mais surtout il faut une démocratisation du débat (libération de la parole) autour de la thématique de la santé mentale car l’écoute est déjà d’une grande aide.

Cheslie Kryst et Riky Rick nous enseignent que le bonheur ne résiderait manifestement pas dans le seul confort matériel, il ne résiderait pas dans l’avoir, mais plutôt dans l’être. Ceci n’est certainement pas évident à lire pour toute personne en quelconque difficulté (financière, matérielle, sentimentale…) cependant, ce ne sont pas les conditions et événements extérieurs qui doivent procurer la paix intérieure, la plénitude, la joie ou l’amour. Le sentiment de complétude doit nous habiter sans aucune béquille extérieure. Éviter par-dessus tout de comparer sa vie à celles des autres est déjà un bon réflexe pour préserver sa santé mentale.

Jeune femme lisant. Foumi via Iwaria.


Si vous vous sentez mal, essayez de vous faire aider par des professionnels de santé mentale, de discuter avec des proches, de vous confier. La discussion est un bon exutoire, mais vous pouvez aussi essayer des livres de développement personnel.

Enrichissez la réflexion autour de ce sujet et donnez-moi vos avis sur les tabous de la santé mentale en Afrique.

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