Le patriarcat : un système à double tranchant

Article : Le patriarcat : un système à double tranchant
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30/05/2023

Le patriarcat : un système à double tranchant

Silhouettes masculines et féminines enchainées sur fond blanc
Silhouettes masculines et féminines enchainées sur fond blanc / Crédit Photo : Dreamstime

On retrouve à toutes les strates de la société gabonaise le patriarcat, un système à la structure diffuse. Il est à la racine de toutes les questions de genre et à son sujet, j’ai pu relever une incidence frappante à partir d’une observation attentive de mon environnement immédiat et plus largement, de la société : en réalité, le patriarcat fait aussi des hommes ses victimes inattendues et inconscientes sur le long terme. Exposer ce système inégalitaire à double tranchant est une question fondamentale pour un changement positif de toutes, sinon la plupart des sociétés à travers le monde.

Le patriarcat est en principe un schéma familial (ductile à toute la société) où l’homme est la figure dominante, au détriment de la femme. De la sphère privée à celle publique, ce schéma s’est érigé en norme au Gabon où peu de femmes exercent des fonctions de premier plan, même s’il y a eu des percées historiques et quelques notables exploits. Il existe un gap profond en matière d’indépendance financière entre les deux sexes et la notion de la soumission de la femme dans son acception la plus archaïque y est encore très répandue, au mépris de la relative modernité ambiante.

En dépit d’un ordonnancement juridique progressiste et la création de structures de protection pour les femmes, dans la pratique le patriarcat sévit encore : féminicides, violences (physiques, morales, psychologiques, financières), inégal accès aux sphères de pouvoir, charge mentale élevée, inégalité salariale, disparités du pouvoir d’achat et en cela précisément, le capitalisme constitue un des chaînons forts du patriarcat.

Pour y remédier, la création d’incubateurs 100% féminins dans les neuf capitales provinciales, l’augmentation des quotas de représentativité des femmes au Parlement à 35% d’ici à 2028 contre les 16,2% actuels, des sessions répétées de mentorat dès le lycée à destination des filles pour impulser une dynamique de réseau et de leadership féminins, des formations pratiques aux métiers de niche et peu compétitifs et des sessions de renforcement de capacités dédiées aux femmes sans diplômes sont des initiatives nécessaires.

D’un point de vue légal, une répression encore plus dure à l’encontre de tous les contrevenants par des peines fortement dissuasives (peines de prison très lourdes) est expédiente car dans les faits, il y a une résistance palpable à l’égalité des genres.

D’une autre perspective très intéressante, le patriarcat qui semble offrir à l’homme un environnement plutôt favorable est en réalité un système très insidieux pour lui. Certes, l’homme ne se posera pas la question du sacrifice entre sa carrière et sa vie de famille, certes les clichés sur la supériorité de la masculinité persistent (entre autres, polyginie légalisée, polyandrie interdite alors que la polygamie qui englobe polyginie et polyandrie a cours légal…), certes l’homme moderne est encore éduqué sur la base consciente ou inconsciente d’un rapport de domination, certes…

Cependant, le patriarcat n’est pas oppressant que pour les femmes. L’homme doit encore essentiellement remplir un rôle de pourvoyeur, sinon sa valeur en société est contestée. De plus, se montrer vulnérable en tant qu’homme c’est courir le risque de passer pour un soliveau et donc d’être moqué par les hommes et…les femmes. Les contempteurs du progrès qui estiment que considérer le patriarcat d’un mauvais œil c’est être « un traître à la cause », ou c’est souhaiter à tort le décours d’un ordre naturel établi, n’ont pas encore fait le lien entre ce système et le fort taux mondial de suicide masculin et d’hommes noirs…

Un homme éduqué dans la masculinité toxique, comme cela a encore largement cours, c’est-à-dire entre autres, formaté à assumer un rôle de seul ou principal pourvoyeur du ménage, formaté à une résilience malsaine qui suppose une imperméabilité mentale à toute épreuve, éduqué lui-même sous le coup de la domination masculine, accumule une charge mentale dangereuse s’il n’est pas dans les conditions qui lui permettent d’assumer ce rôle. Et avec la conjoncture qui sévit, c’est de plus en plus le cas sous nos cieux…

Adopter très tôt une éducation saine à la maison et dans le système éducatif est au rang des solutions. Il s’agirait d’apprendre aux garçons à s’adonner sans fausses idées aux taches ménagères, de ne pas censurer leur sensibilité, de les éduquer dans la conscience que ce qui fait d’eux des hommes c’est leur nature même et pas un rapport de domination, de promouvoir dès le bas âge un rapport de complémentarité des genres, abattre les distinctions de certains jeux basés sur une considération genrée, de réinterpréter les textes religieux qui semblent consacrer la supériorité masculine.

La création d’espaces de libération de la parole, de désapprentissage et de déconstruction des paradigmes chez les deux sexes serait par ailleurs très bénéfique. Dans ces cadres bienveillants, professionnels de santé, sociologues et figures masculines (car à mon avis les hommes n’ont pas beaucoup de parangons en qui s’identifier qui ont un rapport sain aux femmes) amèneraient sur du long terme les hommes à abandonner les tropismes patriarcaux. On y aborderait aussi le tabou de la thérapie et de la santé mentale au Gabon et le décloisonnement professionnel (métiers traditionnellement assignés selon le sexe comme « homme au foyer »…) pour une société décomplexée, équilibrée et équitable.

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Commentaires

NDJOUHOU Raphaël
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À quel moment « Homme au foyer » est un métier ?