Gabon : Jour 10 après Bongo

09/09/2023

Gabon : Jour 10 après Bongo

Suite à la proclamation le 30 août 2023 des résultats tronqués des élections générales (présidentielle, législatives et locales) au Gabon, le pays a connu des bouleversements sans précédent. Comment le paysage sociopolitque se redessine t-il depuis que le régime Bongo-PDG a été déposé ? Comment le CTRI mené par le Général Brice Clotaire Oligui Nguema prend-il ses marques ?

Le putsch

Le 30 août 2023, aux petites heures, le Gabon sera à la fois témoin et acteur de son Histoire avec le putsch mené par le Général Brice Oligui qui va renverser le puissant clan Bongo Ondimba, au pouvoir depuis 55 ans. Alors que la proclamation en cours des résultats donne déjà Ali Bongo Ondimba largement vainqueur, le monde découvre le visage de la libération du Gabon sur les antennes de Gabon Télévision. Un nom : le CTRI. Depuis lors, dix jours se sont écoulés. Au jour 10 après Bongo au Gabon, le pays vit à coups de « communiqué N°00 » et d’éditions du 20h sur Gabon Télévision. Entre chasse aux sorcières, dissolution des institutions, fierté nationale restaurée, arrestations en cascade, conspirationnisme, restauration des institutions de transion et la prestation de serment du nouvel homme fort gabonais, Afropost vous propose une analyse du climat sociopolitique qui prévaut au Gabon.

Les jours précédant le scrutin du 26 août ont vu les tensions et les clivages se cristaliser principalement entre d’une part, les militants du Parti Démocratique Gabonais et les soutiens du candidat Ali Bongo et d’autre part, les soutiens du candidat issu d’un consensus des principaux partis de l’opposition, le Pr. Albert Ondo Ossa.

Sans revenir sur les flagrantes manœuvres anti-déontologiques en vue de la préparation d’un énième coup d’État électoral (manipulation de la Constitution, de la loi électorale, du code pénal, inégal traitement des candidats…), je veux au moins souligner qu’Internet et les services de messagerie classique avaient déja été coupés aux motifs fallacieux et impudent de la sauvegarde de la paix.

Ensuite, le scrutin en lui-même n’a été qu’une vaste fumisterie, tenu en contradiction des textes juridiques relatifs aux élections, édités par l’ex Conseil Gabonais des Élections lui-même. Le point d’orgue de l’infamie qui aura auréolé ce scrutin a sans aucun doute été la proclamation à 3h du matin le 30 août 2023, des résultats qui donnaient Ali Bongo vainqueur, alors même que le décompte général n’était pas terminé. Puis grand coup de théâtre ! L’abattement des téléspectateurs a tout de suite laissé place à une joyeuse incrédulité.

Le Gabon venait de vivre l’une de ses plus historiques déclarations. Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions annoncera la destitution du régime d’Ali Bongo Ondimba et la dissolution des institutions. Le 30 août 2023 est donc un jour qui fera date au Gabon. Bien plus qu’un putsch, le coup d’État militaire qui a tout de suite laissé eclater un déferlement de joie et des scènes de liesse est en réalité une révolution aux yeux des Gabonaises et des Gabonais.

C’est LA révolution tant espérée et appelée de tous leurs vœux par les Gabonaises et les Gabonais épris d’alternance. Très peu auraient d’ailleurs deviné que le salut viendrait d’aussitôt et encore moins des Forces Armées Gabonaises, qui ont redoré leur blason de la plus belle des manières par cette opération dignité. Dix jours plus tard en effet, les FAG suscitent encore déférence, confiance et admiration.

Gabon : jour 10 après Bongo, la chasse aux sorcières

Le jour même du putsch salvateur, le ton de la transition était donné. Les arrestations en cascade qui ont été menées auront été plus que fructueuses. Quand on voit les montants stratosphériques qui ont été retrouvés chez quelques proches collaborateurs du couple présidentiel déchu, on ne s’étonne pas trop qu’ils aient été des affidés prêts à recourir à tous les extrêmes pour conserver le pouvoir qui n’aurait été profitable que pour eux-mêmes.

S’agissant de la plupart des autres soutiens inconditionnels d’Ali Bongo qui découvraient en même temps que nous le luxe tapageur dans lequel se noyaient ces quelques membres de son cercle, j’espère qu’ils n’étaient pas aussi estomaqués que nous autres ni déçus d’avoir soutenu ce régime oppressant, lamentablement échoué et spécialiste de la gabegie qui a fatalement précarisé les populations. Était-ce par calcul personnel qu’ils militaient pour un troisième mandat ? Par conviction ? Si oui, laquelle ? Il appartiendra aux concernés de répondre.

La vindicte populaire dont sont aujourd’hui l’objet certains soutiens inconditionnels d’Ali Bongo n’est que la réponse du berger à la bergère. À l’issue d’un deuxième mandat calamiteux, ils n’ont servi qu’arrogance et condescendance à leurs adversaires politiques pendant la campagne électorale. Au-delà du fait même que chacun est libre de soutenir son candidat au nom de la démocratie, lesdits soutiens indéfectibles narguaient ouvertement des populations opprimées, démunies et paupérisées en les obligeant littéralement à accepter Ali Bongo comme seule issue à leurs souffrances, comble de cynisme et de machiavélisme.

De toute évidence, lorsque Thomas Sankara disait qu’il faut choisir entre du champagne pour quelques uns ou de l’eau potable pour tout le monde, ils auraient vite fait le choix des bulles dorées pour eux-mêmes.

Il est certain que si le système bâti autour du culte de la personnalité du « Président de la République, Chef de l’État, Son Excellence » avait fonctionné comme par le passé, la répression envers leurs adversaires aurait été cinglante, et peut-être sanglante…

Quoiqu’il en soit, au jour 10 après Bongo au Gabon, le silence reste de cathédrale chez certains. On peut toujours se bercer de l’illusion que c’est un silence de contrition ou de désorientation si on ne veut pas y voir un silence méprisant. Ce silence leur confère en tout cas une forme de dignité à mes yeux. C’est toujours une bien meilleure posture que celle adoptée par les spécialistes de la félonie, adeptes de la transhumance politique et habitués de la renégation. Feu André Mba Obame attirait en effet notre attention au sujet de ces personnes qui servent plusieurs maîtres…

La prestation de serment

Une vue panoramique de l’esplanade Hassan II au jour de la prestation de serment du Général Oligui. Crédit photo : Afropost

J’ai répondu à l’invitation au Palais Rénovation, pour de la prestation de serment du Général de Brigade Brice Clotaire Oligui Nguema le 04 septembre 2023 et je peux confirmer qu’il a été un lecteur assidu de Machiavel. Plusieurs personnalités conviées étaient contraintes de longer la clôture par l’avenue Hassan II, où les foules massées en nombre impressionnant, désinhibées et déchaînées conspuaient les gouvernants déchus par les quolibets les plus rabaissants.

Le spectacle valait le détour, sans mauvais jeu de mots. Mais c’est à mon avis le moindre mal que d’avoir été invité à assister, aux premières loges, à l’investiture de l’homme qui a fait voler en éclat ce système cinquantenaire de prévarication. Assister à l’édification du Gabon nouveau, du Gabon qu’ils n’ont pas voulu voir s’édifier…

Ce jour où le claquement des coups de canon ont résonné avec solennité, les symboles du Gabon (drapeau, devise, hymne national…) ont revêtu un sens nouveau pour les Gabonaises et les Gabonais. Jamais leur fibre patriotique n’avait à ce point été stimulée.

Gabon : jour 10 après Bongo, complotisme et opinion internationale

Ali Bongo Ondimba recevant à sa résidence Archange Touadera aux lendemains du coup d’État. Crédit photo : Lyonnel Mbeng Essone

Une frange de la communauté nationale et internationale soutient que le coup d’État du 30 août serait une révolution de palais, digne des plus grands scénarii hollywoodiens. Mais quand bien même ce complot aurait été hourdi par Pascaline Mferri Bongo Ondimba, Marie-Madeleine Mborantsuo ou n’importe quel autre nabab du régime Bongo-PDG comme cela s’affirme ça et là sans preuve, ce ne serait pas plus mal. Chaque chose en son temps. C’est une bataille à la fois et c’est déjà très bien d’avoir remporté celle-ci. Au jour 10 après Bongo au Gabon, c’est encore presque incroyable à réaliser.

La création de la Cour Constitutionnelle de Transition après la visite de l’indéboulonnable Présidente déchue et la mise en liberté d’Ali Bongo rajoutent du grain à moudre aux complotistes qui voient en cela des tractations et estiment que le coup d’État ne serait rien de moins qu’une vaste opération de blancs bonnets, bonnets blancs.

Mais j’aimerais rappeler que nous sommes en phase de transition et qu’il n’existe pas de génération spontanée. Qui dit transition dit passage graduel et situation intermédiaire. Dans ce cas, il ne serait pas réaliste, en tout cas pour une transition que l’on veut fructueuse, d’écarter toutes les personnes ayant de près ou de loin travaillé avec ou pour le système Bongo-PDG car avoir travaillé sous Bongo père ou fils n’est pas systématiquement synonyme de corruption ou d’incompétence.

Donc, tous les évincer reviendrait à nous priver d’une certaine expertise et expérience, ce qui pourrait s’avérer contre-productif. La phase où il faudra rendre des comptes sur la gestion de la cité arrivera certainement et les concernés répondront de leurs actes en temps opportun. Je veux le croire en tout cas.

Quant aux institutions internationales et communautaires qui suspendent le Gabon de ses instances au nom de la sacro-sainte démocratie, mon avis est celui partagé par le plus grand nombre : on se demande bien de quelle démocratie il s’agit. Il est bien dommage et de mauvaise foi de ne se borner qu’à condamner les putschs, et d’entretenir paradoxalement l’omerta lors des vols répétés d’élections sur le continent, comme si cela aussi n’était pas anti-démocratique. Les postures de convenance ont encore de beaux jours avec cette hypocrisie à couper au couteau.

En conclusion, je dirais que renverser le pouvoir Bongo est un fait historique notable quand on replace les choses dans un contexte françafricain d’Afrique centrale et en considération des précédentes tentatives de coups d’État de 1964 et 2019. C’est déjà tout un symbole d’y être parvenu.

Cependant, à mon sens le plus gros travail à faire est au niveau des mentalités. L’ère Bongo a instillé en plusieurs générations de bonnes-mauvaises habitudes qui se sont ancrées profondément au fil des décennies (corruption, paresse, copinage, favoritisme, népotisme, clientélisme, détournements, trafic d’influence…). Parvenir à les déraciner ne sera pas une mince affaire, mais avec de la volonté et du temps on y parviendra.

Post scriptum

Vue aérienne du front de mer de Libreville avec au centre, le Palais Rénovation. Crédit photo : libreville.com

Je ne nourris pas des espoirs irréalistes en ce qui concerne les défis à relever par notre tout nouveau Président de la Transition.

Nous ne sommes au Gabon qu’au jour 10 après Bongo et je ne m’attends par exemple pas à une justice spectacle comme plusieurs en ont le fantasme. Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait une purge stricte excluant systématiquement TOUS les PDGistes des sphères décisionnelles du pays et je ne le veux même pas car tous ne sont pas de mauvaise foi ou des incompétents, je le redis. Je ne m’attends pas à ce que le taux de chômage soit résorbé drastiquement en si peu de temps. Je ne m’attends pas non plus à ce que le tissu socio-économique soit restauré en un temps record.

C’est donc à cette même patience et ce même réalisme que j’appelle toutes les Gabonaises et tous les Gabonais. Je nous invite à prendre du recul et à manifester de la retenue. Je nous invite à beaucoup de lucidité et de discernement, notamment face aux différents sons de cloche qui nous parviennent par-delà les frontières…

La fracture sociale est très profonde, mais nous sommes si peu nombreux que nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de l’exclusion. C’est ensemble que nous (re)bâtirons notre beau pays. À ce sujet, je suis heureux que les personnes emprisonnées et celles exilées en raison de leurs vues puissent être rendues à la liberté pour les unes et rentrer au Gabon pour les autres, sans plus désormais être inquiétées.

Je suis enfin heureux de la volonté réaffirmée par le nouveau Président de restituer le pouvoir aux civils le plus tôt possible. Une volonté confirmée par la récente nomination de Raymond Ndong Sima au poste de Premier ministre de la Transition. L’analyse Gabon : Jour 10 après Bongo est arrivée à son terme.

Afropost reviendra pour d’autres billets, en attendant la formation très prochaine du gouvernement de la Transition, gouvernement dont les membres seront d’office écartés de la course à la présidence, tel que prévu par la Charte de la Transition.

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Commentaires

Marcel Nze Mve
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5 minutes de lecture vraiment magnifique. Continuer a nous donner des bonnes informations comme le président OLIGUI NGUEMA la déclaré.